Eva Gonzalès (1847–1883) est une figure marquante du Paris des impressionnistes, célébrée pour ses portraits de femmes, d’enfants et ses scènes de la vie mondaine. Née dans une famille bourgeoise et cultivée – son père était homme de lettres, ami d'Émile Zola, et sa mère musicienne – elle évolue très tôt dans un environnement favorable aux arts. Douée pour le piano, c’est cependant la peinture qui l’attire, un domaine auquel elle se consacre pleinement à une époque où les femmes étaient exclues des grandes institutions artistiques, comme l’École des Beaux-arts, et devaient se former dans des ateliers privés.
En 1866, Eva devient l’élève de Charles Chaplin, un peintre mondain reconnu, dont l'atelier réservé aux femmes offre un espace unique de formation pour l’époque. Sa rencontre avec Édouard Manet, en 1869, marque un tournant décisif dans sa carrière artistique. Manet, alors au sommet de sa notoriété, devient à la fois son mentor et son ami. C'est à travers ce lien privilégié qu'Eva Gonzalès affine son style, profondément influencé par la liberté picturale de Manet. Ce portrait de fillette au chapeau réalisé par Gonzalès, illustrant sa maîtrise des jeux de lumière et de ses traits délicatement esquissés, témoigne de cette influence. Ce tableau, où une jeune fille est représentée d’un coup de pinceau fluide et léger, montre la manière caractéristique dont Eva Gonzalès traite ses sujets : des contours noirs à peine définis, des touches rapides et libres qui capturent un instant avec une grande sensibilité. Comme dans l’œuvre de Manet, l'accent est mis sur l’expression et l'émotion immédiate du modèle, plutôt que sur des détails. Le visage de la jeune enfant, illuminé par des touches de lumière délicates, évoque l’innocence et la douceur, tandis que le fond flou laisse toute l'attention se concentrer sur elle.

Peint sur l’instant, d’un geste libre, cette œuvre s’inscrit en plein dans la mouvance impressionniste et révèle la parfaite maitrise de la peintre à saisir l’essence du monde de l’enfance. Cette manière d’esquisser les contours et de jouer sur les contrastes de lumière se retrouve également dans plusieurs portraits peints par Edouard Manet. Cette petite fille habillée comme une élégante avec son visage, maquillé d'une mouche et de rouge à lèvre, incarne parfaitement l’innocence enfantine. A coups de pinceaux assurés, Gonzalès parvient à retranscrire l’image de cette enfant s’étant amusée à se parer comme une adulte. L’intensité du geste et le choix d’une palette de couleurs douces donnent une tendresse inégalable à la scène capturée sur le vif.

Malgré l’influence de Manet, Eva Gonzalès est une artiste à part entière. Lorsqu'elle expose au Salon, elle ne se présente pas simplement comme l’élève de Chaplin ou de Manet, mais comme une peintre cherchant sa propre voie.
Son tableau Une loge aux Italiens, bien qu’influencé par l'esthétique de Manet, est refusé au Salon de 1874, probablement en raison du lien trop évident avec l’œuvre de son mentor. Cette exclusion est peut-être due au fait qu'elle défiait les conventions académiques tout en embrassant un style nouveau, proche de celui des impressionnistes, bien qu’elle n’ait jamais exposé avec eux. Saluée par des critiques comme Octave Mirbeau, son travail reflète une quête de réalisme innovant pour son époque, mettant en avant des femmes et des enfants dans des scènes de vie quotidienne. Le portrait de cette petite fille avec ses touches délicates et son atmosphère intime, incarne cette approche : une peinture libre et subtile, qui résiste aux contraintes imposées par la société et la misogynie ambiante. Gonzalès, bien qu’emportée trop tôt, laisse un héritage artistique profondément marqué par la liberté et la sensibilité, capturant la douceur de la vie quotidienne avec une audace remarquable pour son époque.